Quatre heures quinze, pas un bruit. Le premier oiseau s’éveille en un défroissement inaudible. Imperceptiblement, la lune passe le flambeau. Difficile de savoir si le merle dormait vraiment ou s’il somnolait d’un simple monocle au pouvoir nyctalope, comme ceux des araignées dans leur veille nocturne. Ouvre-t-il une première fois le bec, le referme, baille, se lisse les ailes, le plastron, la queue ; est-ce ainsi que les merles vivent, en somme ? Nul ne sait s’il accomplit de petits mouvements d’assouplissement, pattes en l’air en alternance, flexion, extension, cou, épaules, un chanteur dans les coulisses avant d’embrasser le rôle. Personne pour sentir s’il hésite-t-il un instant ; a-t-il une forme de trac, une angoisse ? Dans ces moments-là l’esprit est un plomb, rien pour le distraire de l’idée fixe. Ce n’est pas rien, l’exploit de réveiller le monde, c’est au-delà de la simple formalité. Acte premier. Discrète, une vocalise, un petit raclement de gorge. Allons, c’est à lui. Ou à elle, qui sait. Une merlette est peut-être mieux rompue à l’exercice. Personne, encore, pour voir ne serait-ce que sa silhouette, l’échancrure de ses ailes ou la couleur de son bec. Tout cela est-il organisé, y a-t-il des tours de garde ? La nature est indéchiffrable. Raison probable pour laquelle on la recule et la brutalise sans relâche.

Et puis en un instant c’est le chant du monde, on a déjà tout dit là-dessus. Après, au revoir mon ami.

La scène a lieu tous les matins, « au revoir mon ami », chaque jour un peu plus tôt en cette saison, par la fenêtre ouverte. Habituellement je ne l’entends pas, la maison au revoir mon ami dort encore dans un fouillis de draps défaits, de linge en suspens, de livres à moitié lus, ou jamais ouverts, ou lus relus au revoir mon ami dans un coin de la mémoire et les comprimés sur la table, un verre d’eau a laissé un rond sur la toile cirée comme une place sur le plan d’une ville au revoir mon ami connue autrefois. Tout est neuf, quel est cet endroit ? Derrière la porte, des vêtements par terre au revoir mon ami une solution peut-être aux mots-croisés d’hier, c’était donc ça. Aujourd’hui, levé avec le canoë, ohé, la lune et le chant dansent un scalp : tu es attendu. « Au revoir mon ami », chant premier. Chasser la mouche en préparant le café, le thé fort, les croquettes du chat, une vaisselle ascétique, l’antiphone reviendra cent fois dans le jour, au revoir mon ami et ta main sur la portière de la voiture.

Tu es attendu, au revoir mon ami les mots dans ta bouche et ta main sur la portière de la voiture et puis la route et ses automatismes et tout un horizon de ballades pour chasser ces mots tendres, explicites et obscurs à la fois.

CHOTI

par Nous'che et Stochelo Rosenberg | enregistrement privé, oct 2008