La maison du Faou, route de Châteaulin, en retrait derrière les platanes, vieux fringants immobiles depuis tant d’années. Les platanes, infatigables comme sont les éléphants, doivent pourtant venir mourir un jour et en famille, aux confins des savanes du passé.
La maison ne se montre pas, ne se montre plus. Dernière pudeur, ultime élégance des belles personnes : apparaître à la dérobée. Elle s’appelait à l’époque Les Glycines, en hommage à la plante aux cascades violettes qui digérait lentement la grille en fer forgé le long de la rue. On aperçoit tout juste l’œil-de-bœuf qui borgne vers l’intérieur de la mansarde lambrissée de pin, au niveau du grenier, soupente dans le goût alpestre aux plaisirs des jeunes mariés d’avant-guerre. Depuis l’oculus on avait vue sur les jaillissements d’un palmier depuis toujours acclimaté.
Je n’ai pas voulu – pas osé – sonner, ne sachant trop comment aborder les occupants, et d’ailleurs à quoi bon. Une jeune Peugeot 203 impeccable a choisi le moment pour passer au ralenti, illustration du film d’époque. Un clin d’œil de je ne sais quelle fantaisie métaphysique, sinon quoi. Le hasard est toujours une nécessité.
L’église, depuis les dalles jusqu’au ciel étoilé, en rajoute dans les couleurs de sa jeunesse. Il y flotte une odeur de vieilles photos, et les saints ont l’air de sortir du bouquet de fleurs de la mariée. D’ici au cimetière il y a quelques années de marche, à peine. Le cimetière n’est pas marin comme celui de Landévennec, un peu plus loin vers la rade, pourtant les marées s’y racontent. On n’y rencontre pas beaucoup d’hommes célèbres, mais une génération de jeunes gens fusillés en 40. Et des femmes, beaucoup de femmes, nées veuves pour le restant de leurs jours.
On a lu des noms à voix haute, caressé des pierres, crissé des graviers, et puis retour par les Monts d’Arrée où il est encore possible de se perdre doucement, comme au début d’une histoire ; Marie, Anna, Charlotte, René, et les autres. En fermant les yeux (facile, en voiture, à la place dite du mort), on arrive à rembobiner le film des vivants.
(photos : Le Faou (29) le 24 septembre 2021)
Les voitures anciennes sont comme les bornes du passé (idem pour les anciennes bornes kilométriques en voie de totale disparition).
Belles photos : le modernisme de la signalisation dans le cimetière est un affront qu’heureusement ses occupants (les plus anciens) n’auront pas connu. Et la maison du Faou (il en a perdu son “a”) présente une jolie modestie. 🙂
Celle-ci était comme neuve et, curieusement, sans signe apparent d’appartenance à je ne sais quel « rallye ». En revanche je n’ai pas pu voir l’état de momification des occupants ! 🙂
Quelle émotion, cher Dominique, pour qui a connu, comme toi et moi, ce refuge familial ancré dans nos mémoires. Recherche d’un temps passé comme un navire à jamais ancré en nous, amarré aux rives de la modeste rivière du Faou, ce filet entre deux eaux, déjà mer ou encore rivière, on ne sait. Faut.il aller sonner à la porte de la vieille maison retrouvée, ornée
en retrait d’un merveilleux jardin, paradis d’enfance, de peur d’y voir que tout a été transformé derrière la grille ou, pire peut-être, que tout est encore en place et que les chères silhouettes vont nous réapparaître ?
Je suis resté stupéfait devant la jeunesse des platanes, qui font si bonne figure. Un moment j’ai cru voir apparaître le docteur Boënnec, mais non, erreur de ma part. Personne n’était malade !
Très beau texte, vraiment très émouvant.
Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous, comme vous le savez. C’est le poète qui l’a écrit.
Cette Peugeot conduite par les fantômes souriants du passé, roule joyeusement sur la route de votre passé. On lui souhaite un beau chemin (de traverse ou des écoliers).
C’est peut-être hors-sujet, mais une récente mode consiste à électrifier d’anciens véhicules à moteur (comme la 2cv Charleston, que vous affectionnez) dans le but de leur dépolluer l’existence. Ainsi les souvenirs, sans être pour autant parfaitement exacts, seront-ils au moins préservés de l’oubli. Merci de vos mots, 🙂
Et cette photo, la quatrième à partir d’en haut.
J’aurais pu m’asseoir là longtemps. Juste pour y rêver.
Après, j’aurais passé du temps
où l’eau est si basse qu’elle offre ses entrailles.
…
Merci, Dominique. Pour autant de tendres voyages et de choses belles.
A marée basse, il y a aussi un murmure marin, un bruissement de vie dans la vase, d’invisibles conversations. On passe de ce plan horizontal à la ville riveraine comme on changerait du culture. Les odeurs de grève sont un mystère, comme du levain. Merci pour le voyage, si j’ose dire, Caroline.