Avant toutes les pages blanches, avant le plaisir de la pointe de feutre caressant le papier, c’est vivre au creux de l’été, doux comme le sein d’une mère, la douceur à se savoir ici d’Yves Elien. Le luxe incomparable de la solitude et de l’effacement, aussi.

Si le mot effacement est juste, globalement, celui de solitude est sans doute trop fort. En toute circonstance, sauf peut-être immédiatement après la pluie, et à certaines heures de la nuit, des milliards d’insectes nous accompagnent de leur bruissement assourdissant. Le vent doit en emporter la rumeur vers d’autres solitaires, pris eux aussi dans les soies d’une toile hydrophobe.

Après la pluie viennent des odeurs oubliées, indescriptibles, enivrantes. La coupe de l’abstème est un invisible calice. Entre-temps, il y aura eu quelques rencontres avec des observateurs nimbés d’incognito.

Et puis, et surtout, au retour d’une promenade :

Avril et surtout mai ont connu l’apogée des chants, et pourtant, à aucun moment peut-être le charme des voix n’est plus subtil que dans les soirées de fin juin, quand un peu de lassitude apparaît déjà chez les chanteurs. La journée a été chaude. Sous le soleil de midi, la phrase monotone et traînante de l’Ortolan a résonné seule dans les vignobles pleins de lumière. Avec la brise du soir, les sons ont repris. Puis, au déclin du jour, le bavardage confus des petites voix sans art s’est éteint. Le Rossignol a chanté encore, par fragments de strophes, sans conviction. Alors, le Loriot a sifflé une dernière fois. Des voix, après la sienne, sont montées de la paix du soir, discrètes, rares, comme imprégnées de silence et de nuit. Un Merle a tenu la scène, pendant quelques instants; son sifflet grave, flûté, est venu d’un coin d’ombre, masse de feuillage où la lumière ne pénètre plus. Un autre, puis un autre, lui répondent. La Grive semblait attendre qu’ils eussent fini pour dire à son tour sa chanson sautillante. Des Coucous, au loin, ont répété la double note familière qui prend à cette heure une étrange poésie. Puis, l’obscurité grandissant, le Rouge-Gorge, à deux ou trois reprises, lance sa petite note « tac-tac» qui déjà fait penser aux soirs d’automne. Enfin un bruit étrange, celui d’un rouet que tournerait une fileuse, tantôt proche, tantôt lointaine : le chant de l’oiseau de rêve, l’Engoulevent, dont le vol ouaté hante les clairières à l’heure indécise.

Jacques Delamain, Pourquoi les oiseaux chantent, Stock, 1930

(Réédité en 2011, Éditions des Équateurs. Merci à Jacques Brélivet pour cette découverte.)

Et soudain le soir comparaît.