Il y eut un matin plus doux que les autres, en apparence seulement. Du miel répandu dans la cuisine. Éveillé tard une fois de plus, en ours mal léché j’en fis mon affaire et le ciel s’éclaircit réellement. Cela donnait envie d’apprendre la musique, devenir musicien et taper sur des bidules en chantant (dansant ?) une sorte de bossa, avec Tom Jobim et Chico Buarque (Astrud Gilberto ?) revenus pour l’occasion. Un trip d’enfer, on disait autrefois. D’ailleurs, le café est bientôt prêt.

Il n’y a pas d’aventure possible sans des pas qui hésitent et qui crissent, on se demande comment s’engager, hésitation, derrière la vitre on imagine marcher tout doucement pour ne pas briser l’herbe, tout cela est si fragile. Les pattes des oiseaux nous renseignent pourtant sur l’élastique solidité du tout léger, mais on résiste à leur appel, tout ébouriffé contre soi-même comme le pinson et la mésange s’ignorent et s’épient d’un bout à l’autre du prunier-ancêtre (je ne parlerai pas de lui en disant que c’est un résistant, préservons ce mot-là, c’est plutôt un assisté (noblesse de celui-ci) ; il bénéficie du secours de ses voisins qui unissent leurs efforts pour lui faire belle vieillesse).

Dans la nuit on est allés accueillir une voisine qui revenait de Londres en avion. Quelle drôle d’idée quand on habite Paris (j’ai gardé cette réflexion pour moi). Il n’y a pas si longtemps j’aimais regarder les mouvements dans les aéroports,

parce qu’il y a des gens qui se croisent et ne se reverront plus jamais, c’est là qu’on s’exerce à saisir l’instant décisif, la plupart du temps on le rate, c’est définitif et ça construit des regrets qu’on mûrit à l’envi, eux aussi finissent par prendre une teinte ambrée dans le fonds des souvenirs. Et si l’instant est saisi, qu’il dure le temps d’un transit ou d’une escale, ce sont des regrets aussi. Comment vivre sans eux (les regrets et leurs corollaires, les gens qui partent et ceux avec qui on fait un bout de chemin).

Tard dans la nuit, la lune aussi a pris une couleur miel, un miel foncé, miel de sapin cette fois (du Morvan, des Alpes ?). On entendait aussi qu’elle était rouge, ou rousse, ou feu, tout dépendait en fait de l’orientation de chacun et des désirs sous-jacents au langage. Une façon de voir, assurément. D’ailleurs, je n’avais pris connaissance de cette éclipse que fort tard dans la nuit, presque au matin, et j’avais paraît-il raté quelque chose (de plus vif, plus ardent ?) 

Il faisait encore nuit, décidément elle ne finirait pas. Sur Arte, j’ai revu le merveilleux Conte d’été d’Éric Rohmer, avec toujours le même plaisir juvénile, ce qui est un comble. Dinard, filmée comme jamais, et pourtant pas filmée au sens propre ; le film reste concentré sur les personnages et leurs liens, des fils qui se croisent et s’entremêlent presque un mois durant, seule une incidence matérielle permet au personnage masculin de se sortir à peu de frais de l’écheveau dans lequel il s’est laissé tisser. Lorsqu’il prend le bus de mer pour aller (fuir ?) prendre le train à la gare de Saint-Malo, sur la jetée de la Compagnie Corsaire, devant l’hôtel Printania, reste seule celle qui l’aura révélé, dans le sens photographique du mot. Personne pourtant n’aura été mis à mal, tout est si complexe et à la fois simple, et léger, et sensuel, les conversations en haute tenue,

mais je ne sais plus pourquoi je raconte tout ça, retrouverons-nous un jour cette insouciance… je n’ai pas réussi à prendre Amanda Langlet en photo (je n’ai jamais su photographier mes petites amoureuses, ni les plus grandes, d’ailleurs), par contre Melvil Poupaud penché sur ses tentations, aucun problème, bizarrement. La télé ne marche plus très bien, un horizon artificiel la coupe en deux exactement, et souvent son ciel tremble. Comme celui de la mer, en somme.

Tiens, il s’est mis à neiger. Du silence, enfin.