Reprendre son outil après un mois d’absence, être surpris de le découvrir en friche ; les commandes de l’éditeur de blog ne sont plus les mêmes, il y a eu une « mise à jour ; la présentation diffère, je ne m’y retrouve plus. Advienne que pourra, espérons que les textes seront lisibles et les images correctes. C’est comme une expérience neuve, toujours sur le métier, etc.

Reprendre, donc, au 1er mai, de retour d’en ville où j’ai sacrifié avec bonheur au rite du brin de muguet à l’adresse de la bien-aimée, même si une partie du jardin en est jonchée (de muguet, et de bien-aimées, aussi, en souvenirs lointains mais encore accessibles). Les joies d’une observance, en quelque sorte. Un devoir léger, et consentant.

Je croisai José au retour (j’ai dit quelques mots du personnage un jour de ronde, c’était chez l’ami D.H. J’y fus bavard, je tâcherai désormais de l’être un peu moins — À propos de ronde, je ne participerai pas à celle qui vient, le 15 mai. Bien sûr, il me serait toujours loisible de tenter un textulet, je pourrais toujours essayer. Mais dans l’impossibilité de disposer du temps nécessaire à l’élaboration d’un travail soigné, le présenter tel quel ne serait vraiment pas fair-play, sans parler de celui que j’aurais la responsabilité de publier. J’y reviendrai).

José vient de perdre sa femme. « Du muguet, me dit-il, je n’ai plus personne à qui en offrir… Allons, passez à la maison, répondis-je, nous nous offrirons quelques mots… » Le printemps est déjà mûr, la glycine fatiguerait presque. On laissera ici un jardin agréablement travaillé, avec le sentiment d’un devoir rendu à l’esprit du lieu.

Quelques mots, justement, d’une balade récente au bord du canal, vers l’ancien tunnel du chemin de fer. Au passage du port, un marinier chargeait l’or dans sa péniche en route pour Rouen ou Le Havre. Des grains de maïs, le chuintement du transfert via une échelle articulée depuis les silos était audible à plusieurs centaines de mètres.

Nous avons voulu vérifier un mystère. Une amie (celle d’un livre, un jour, mais pas comme à la télé) nous avait parlé de bas-reliefs étranges aperçus dans le tunnel abandonné de Chalifert. Elle n’arrivait pas à comprendre leur origine. Dans la pénombre, lors de mes nombreuses promenades je ne les avais jamais remarqués.

Effectivement, c’est tout l’appareil qui semble avoir été sculpté, et le plus étrange est que les salissures des chaudières à charbon en recouvrent une partie, ce qui ferait remonter le travail à une période bien antérieure aux tags. Or le tunnel n’a été abandonné qu’en 1985, quand l’époque des locomotives à vapeur était révolue depuis bien longtemps…

On a l’impression de se mouvoir dans un organe aux circonvolutions mobiles, ou dans les muqueuses d’un inquiétant boyau. Il y a du perplexe, du vivant et de l’archéologie dont l’emmêlement excède mes compétences. Quel artiste souterrain a pris gouge, quel tunnelier excentrique ? Travaillait-il la nuit, incognito cavernicole ? On parle de réutiliser le tunnel pour doubler l’objectif en termes de voyageurs, à l’horizon 2025. Et puis tant qu’à faire, pourquoi ne pas le quadrupler, histoire de surperformer l’objectif ? Le Grand Paris est une aventure imprévisible, et ses penseurs, des visionnaires obsessionnels.

Mais tout de même, un tunnel abandonné aussi érotique méritait peut-être quelque prudence, un esprit de préservation ; est-il encore possible de caresser cet espoir dans le sens du poil des conservateurs ? Le TGV aérien n’a pas de ces scrupules, qui fend la bise sans complexe majeur par dessus la canopée.

Au retour, la péniche repue s’était enfoncée dans ses œuvres mortes, prête au long voyage d’une lenteur quasi anachronique, mais tellement reposant dans son économie de moyens et son rapport silencieux au paysage ; vertigineux vestige d’une époque révolue. Et son couple marinier complice en manœuvres, calmes et avenants à l’image même de ce monde parallèle, de prendre causette avec le passant, d’expliquer un détail dans l’art délicat de faire naviguer un tel véhicule dans les eaux étroites.

Il y eut aussi, ces dernières semaines, des allées et venues avec la Normandie, où nous vivrons bientôt. Plus précisément la presqu’île du Cotentin et sa région de Coutances, connue sur les prospectus pour sa cathédrale, son festival de jazz et ses pommiers à cidre. Trente cinq ans de vie parisienne, j’ai pensé qu’il était temps de les solder, et partir en bons termes. Le luxe et la fureur de ses rues, la laideur des hommes pressés me pèsent, désormais. Je n’avais encore rien dit de cela, de l’ordre de l’implicite, et ceux qui me connaissent comprendront mon silence.

Heureusement existent encore des trains permettant de s’échapper vite et en douceur du noyau atomique.*

Je poste ici quelques photos prises au gré des voyages, j’aurai l’occasion d’y revenir plus précisément dans quelques semaines. D’abord les plages, et puis la ville.

Dans « Coutances », ce que j’ai entendu d’emblée, et ce n’est pas d’aujourd’hui, ce sont des syllabes dorées et anciennes qui m’ont fait penser à un métier précis et vaguement oublié, des ouvrières attentives à leur ouvrage méticuleux. Une ouverture vers un havre, aussi. Un mot proustien qui appelle d’autres sonorités, quelque chose de travaillé. De la belle ouvrage dans l’élocution même, donc une saveur intemporelle et, je le crois fort, moderne.

Quelques raisons de se tenir droit. J’ai déjà hâte de revenir écrire dans ces murs — pour l’heure branlants — j’essaierai de le faire dans des proportions plus rigoureuses. Allons, un petit film, pour finir et comme suggéré dans le titre ! (et mon salut, bien sûr, à ceux qui seront venus faire un tour par ici).

(il faut cliquer pour lancer le film, à l’ancienne, dira-t-on…)

* Ce n’est qu’une image. En réalité il y a plus d’uranium dans le Cotentin que dans toute la région parisienne. Mais s’il fallait s’arrêter à ce détail…