Je l’ai reconnue tout de suite grâce à son porte-monnaie.

Dans l’idéal intime de mes souvenirs, une femme aussi précise, délicate, attentionnée dans la vie et au travail, efficace et bien notée par ailleurs, performante sans être besogneuse, humaine, une femme au profil vénitien qui aurait eu sa place dans un tableau de la Renaissance italienne, mèches de cheveux follement assagies, port raffiné de madone aux lèvres et narines de porcelaine et ventre plein, ayant perdu son mari tôt, celui-ci par trop volage ou volatil, une femme doucement autoritaire au rire gracieux, un peu comme ma grand-mère maternelle en plus jolie ; cette femme ne pouvait pas, dans ses histoires d’argent au jour le jour, c’est-à-dire pour les courses, ne pas tenir autrement que par-dessous, main en supination, doigts fermement repliés à plat – geste hérité, immémorial, posture légèrement déhanchée – cette forte bourse rigide et démodée au fermoir clic-clac et à l’architecture interne composée de compartiments et sous-compartiments infimes aux affectations diverses et précieuses, conçue de cuir solide et fin pour la lourdeur des pièces et l’instabilité du papier-monnaie ; objet signifiant par lui-même, indissociable du filet à provisions ou du sac aux armes du supermarché, l’élégance même. Tout ce chic contenu.

Par conséquent, seuls au monde et sourire aux lèvres nous nous ignorâmes superbement, de plein gré, en toute connaissance de cause et pour la définitive, comme des gens biens, mais des gens de peu, en somme.

À la suite de quoi…

je revins tranquillement…

hormis quelques diverticules…

… à la maison, pour faire simple.