Aujourd’hui, la ronde, suite de textes en échanges
sur le thème « Désert(s) »

Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, etc.

J’ai le grand plaisir de recevoir Jacques, et sa Patagonie. Ce billet aurait dû paraître le 15 juillet, simultanément avec ceux des autres participants. Pardon, évidemment, pour ce retard. Je me déplaçais alors chez l’ami Dominique Hasselmann*.

Merci à eux deux, merci à tous ceux qui font la ronde, et à leurs lecteurs.

Patagonie

 

 

lui assis de biais, disant que oui après tout Paris, d’accord, toute cette joie, mais vois tu ce qu’il préférait, c’étaient les soirées d’automne, le vent qui appauvrissait les arbres, qui jour après jour les dépouillait, leur rendait forme humaine, c’est merveilleux hein le soir toute cette nostalgie et qu’il allait chercher là-bas dans le Jardin des Plantes où, étudiant c’est à dire penses tu en 1976 … où parfois il arrivait à l’ouverture, pour passer la journée entière sur un banc – non elle ne le voyait pas rester autrement que dix minutes, mais faisant celle qui croyait – tout ce temps à regarder les heures courtes d’octobre s’alourdir et tomber, vois tu, le temps et la vie, des jeunes femmes poussant des enfants, puis le soir pastel de plus en plus sombre tiré par des bourrasques d’ouest à travers l’allée principale vers la Seine , alors qu’un solfège d’étoiles se mettait en place, et qu’il prétendait, être le dernier visiteur, la dernière présence humaine dans ce grand rectangle de silence où depuis des siècles, au-dessus des égouts, du métro et peut-être aussi de rivières souterraines, de grands cèdres alimentaient leurs racines dans ce limon profond du fleuve, ce n’est pas comme chez vous vois tu, et alors elle le regarda avec un imperceptible sourire des yeux, un peu agacée quand même de ses tics de langage, du tutoiement, il allait parler de la guerre, de tout ce qui s’était passé, or chez nous, depuis des années tout est nouveau, bien plus efficace qu’à Paris justement : il y a des cafés des magasins de luxe, des pelouses et des canaux tout est fait pour que les gens soient efficaces et que la vie sans accrocs, mais il fallait le laisser parler car il était si confortable dans son rêve et puis après tout le restaurant était calme et climatisé et il valait mieux être là que sur la route pour les douze prochaines heures à traverser un pays de bois et de lacs où seuls des animaux sauvages pourraient – peut être – s’orienter, puis de longues vallées suspendues dans ces rochers calcaires et rouler encore vers S*** heure après heure, mais qu’est ce qu’ils avaient à les envoyer là ces gens du Siège, eux qui n’avaient jamais simplement vécu deux jours sur une plate-forme et qui ne connaissent du pétrole que ce qu’il faut pour la berline familiale entre la banlieue ouest et Saint-Denis, l’envoyer, elle avec MachinChose en chaperon, soixante ans au moins et sa géologie électronique top niveau, et qui maintenant dérivait sa nostalgie vers Montmartre puis Vincennes et sans doute bientôt le tour de Paris ou les jardins du Palais Royal, elle regardait maintenant derrière lui la photo de l’ancien propriétaire autrichien qu’on avait accroché là au dessus du bar vois tu

après qu’ils auront dépassé les derniers kilomètres de verdure, traversé S***, ce seraient la poussière et les pierres, les cahots et la trace vers le sud où la frontière fait une sorte d’angle aigu, comme enfoncé dans la province de P*** le guide armé tenant le volant à deux mains, son regard fixe à peine au dessus du capot, n’arrêtant pas de parler dans cette sorte d’anglo-sabir nerveux couvrant à peine le tintamarre d’une radio-cassette canadienne, alors qu’au loin scintillant dans l’écrasante lueur du matin, on verrait ces châteaux en Espagne, (elle avait appris l’expression fata morgana), pendant que l’autre voiture de l’escorte où il est assis le buste droit croisait et décroisait leur route, tantôt devant, tantôt derrière, et qu’à Paris l’été finissait en douceur au Parc Montsouris

Texte et images, Jacques d’A.

 

 

La ronde tournait cette fois-ci dans le sens suivant :

Marie-Christine Grimard chez Jacques
Jacques chez Dominique Autrou
DA chez Dominique Hasselmann
DH chez Franck
Franck chez Céline Gouël
CG chez Jean-Pierre Boureux
JPB chez Giovanni Merloni
GM chez Marie-Noëlle Bertrand
Marie-Noëlle chez Marie-Christine, etc.

 

— prochaine ronde le 15 septembre –

* texte disponible également ici