C’est aujourd’hui la ronde, suite de textes en échanges, avec pour thème le mot « silence ».

Principe : le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que la boucle soit bouclée.

J’ai le plaisir cette fois-ci de recevoir deux participants, l’un de leurs blogs étant devenu inaccessible. Cette entraide est donc pour moi un plaisir redoublé.

Vous lirez successivement la proposition de Franck (blog à l’envi), puis celle de Céline Gouel (le blog de mesesquisses).

Je me déplace pour ma part chez jfrisch, auteur du blog jfrisch – la vie de Joseph F. (publication consultable également ici)

Gratitude à eux trois, à tous ceux qui font la ronde, et à leur lecteurs.

 

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Le silence de Méduse

 

La situation étrange dans laquelle nous sommes met en question une grande partie de ce qui nous semblait normal dans notre vie, notre réalité d’avant. Aller travailler alors que nous devons rester confinés chez nous, ou bien travailler seul de son domicile quand c’est possible, et ce foyer chaleureux qu’il fallait quitter chaque jour devient pour certains une prison depuis qu’on ne peut plus le quitter comme on le souhaite. La distance de sécurité imposée relègue caresses, chuchotements, berceuses à des actes dangereux. La sidération vient surtout de la rapidité avec laquelle le Monde entier se retrouve cul par-dessus tête et si facilement. 

Avez-vous remarqué que dans résilience se cache silence ?

J’ai la double chance d’habiter une grande maison ceinte d’un grand jardin et de ne ressentir aucun des symptômes évocateurs de l’infection virale à ce jour. Grande maison et jardin étaient alors un luxe qui devient aujourd’hui un énorme privilège. S’isoler y est facile. Rechercher le silence pour écrire dessus, comme sur une feuille blanche, devrait l’être. Mais dans cette grande maison calme, quelle que soit la pièce où je m’isole et me retrouve seul, quelle que soit l’heure, il fait par exemple noir en ce moment à six heure cinquante du matin, le silence n’existe pas. C’est un concert de trilles qui vient du jardin encore plongé dans l’obscurité, la chaudière qui ronronne à la cave quand elle se met en marche. Certes ont disparu depuis quelques jours les bruits de voitures et de camions qui passaient devant le portail dés le matin tôt. Le silence est une abstraction. Si j’arrive à effacer ces doux gargouillis de plume, ce bruit de fond discret, s’installe alors un sifflement continu qui coure entre mes deux oreilles comme un casque qui serait posé sur la base du crane. Ce sifflement aigu s’amplifie avec la concentration jusqu’à devenir assourdissant. Le silence, mon silence est tonitruant quand je lui prête attention. Il est saturé des sons qui manquent. Comme un écran de télévision qui restait allumé quand les émissions étaient terminées et qu’un magma de pixels fous grouillait derrière l’écran protecteur. Bien sûr cela n’existe plus car il n’y a plus d’arrêt des émissions télévisées. Un doigt dans chaque oreille n’enlève pas le sifflement. Le silence n’est pas absence d’audition, ni absence de paroles. Il pourrait être absence de pensées, ou plutôt mise en sourdine du bavardage des pensées pour isoler, chercher, la voix silencieuse en nous. En moi. En vain.

Confiné dans le confinement, tout ce temps libre dont je n’aurais pas espéré disposer il y a peu de temps avant les restrictions obligatoires, reste une espèce d’hébétude stérile, d’attente vaine, de silence parasité. Le jardinage serait la seule action constructive en cette période de doutes, et c’est, au quotidien, la raison principale de valorisation du temps passé. Pourtant, comme elle dure la germination. Les progrès des premiers pétioles à percer la surface du terreau se font attendre. Quand enfin un germe vert clair affleure, après toute cette attention impatiente à l’espérer, il prend son temps à s’étirer, à jeter son chapeau et laisser déployer ses deux couettes luisantes. Le confinement est la contemplation du passage de l’escargot sur la planche du potager, une progression souple de tumescence-détumescence qui laisse une trace humide puis une ligne brillante et craquelée. Une antenne se rétracte au moindre stimulus et c’est le corps entier qui se recroqueville sous la coquille, ou derrière un masque. 

Le silence du moment est une symphonie de l’attente. L’esprit paralytique assiste, comme Méduse devant le miroir, à la défaite des demi dieux.

 
 

texte et image : Franck (et Le Caravage…)

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Trève

 

Le monde semble endormi
Dans le milieu du jour

Même le chat à la porte
A l’air interloqué
De ce calme ambiant
Qui dure
Sur le printemps vivant

Marche essentielle
Avaler ma faim
D’une autre vue
Avoir une raison
pour lâcher les chaussons

Raviver le calme
Respirer les dehors
Qui transpirent
Les cloisons

Les mots dits
Des plus jeunes
Pointent le trop plein
Des jours aux mêmes visages

Le silence n’a pas encore pris
Ni les enfants ni les oiseaux
Qui savent tuer
Les doutes d’agonie
De leurs cris

La terre vibre et respire
Nous ignore
La nature, seule est libre,
Et nous baissons la garde
Et nous posons nos armes

Dans le milieu du jour
Le monde semble endormi.

 
 

Texte : Céline Gouel

Photo : Capucine

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La ronde tourne dans le sens suivant :

Giovanni Merloni, le portrait inconscient, chez

Marie-Noëlle Bertrand, Eclectique et Dilettante

Hélène Verdier, simultanées

Noël Bernard, talipo

Franck, à l’envi

ldap (ici)

Jfrisch, jfrisch – La vie de Joseph F

chez Giovanni Merloni, etc.

Bonnes lectures !