C’est en regardant d’un peu plus près la figurine suspendue, ou plutôt en la regardant plus longuement, dans l’abstraction de ce qui tournait autour, une figurine comme un jouet abandonné, ce qu’elle est vraiment m’a-t-on dit, un jouet pas si ancien, et cela m’attrista presque quand je l’appris, alors que je m’imaginais déjà dans la peau du donateur anonyme, et satisfait de l’être, au musée Guimet, après une rencontre discrète avec une conservatrice émerveillée par cette découverte majeure, dans son bureau secret comme un boudoir mandarin ; c’est en regardant, donc, le cheval ailé, Tianma aux articulations délicates, qu’un flash soudain m’annonça la venue simultanée d’un souvenir de jeunesse où ma sœur Colette était présente.

Deezer, application en mode automatique balançait des duos sur l’enceinte acoustique connectée, des airs inspirés de mes écoutes précédentes, « le mix infini avec vos favoris et de belles découvertes » Tony Benett & Diana Krall, Natalie Dessay & Michel Legrand, l’eau vive des ruisseaux, les moulins de mon cœur etc. etc. et puis tout d’un coup nous voilà ensemble chez un grand-oncle à Quimper, j’ai oublié son nom mais chez lui il y avait, accrochée sous le limon de l’escalier droit qui montait au second étage, la carcasse immense d’une tortue marine qui faisait peur, ce n’était pas tant la carcasse en elle-même qui provoquait l’effroi, mais l’épouvantable perspective en chute libre vers le ciel, oblitérée par ce gardien immobile comme une araignée géante. L’oncle oublié devait être marin, ou marchand, ou les deux.

Alors pourquoi elle, pourquoi Colette précisément, ne saurais le dire. De cette époque je garde peu de souvenirs, je dois me faire aider, il faut attendre un peu pour la retrouver avec ses copines du Faou en bikini sur la grève de Moulin Mer près de Logonna-Daoulas, copines dont l’une me faisait un effet tel que déjà j’en éprouvais des complications nocturnes, mais cela a peu à voir avec un cheval ailé peint en noir, rouge et or qui se balance doucement sous une planche de l’étagère murale du salon en 2020, ou alors peut-être est-ce ma mère qui nous surveille sur la photo l’air de rien, et peut-être pense-t-elle au même moment à son propre père qu’elle n’a pas connu, puisque mort avant sa naissance, fauché par la grippe espagnole en hiver de l’année 1919, alors que les autorités, ou ce qu’il en restait, sortaient à peine la tête de l’eau sale de la Grande Guerre. Et dans les beaux quartiers, la fête folle bientôt de recommencer.