La mémoire de Saint-Malo s’éclaire difficilement à la lumière maigre des quais, au risque de se noyer dans des souvenirs profonds. Des premières, comme au cinéma : Route du Rhum, Écrivains Voyageurs (par la suite, ça s’embourgeoise, comme toujours). Des grumes en partance, d’autres à l’arrivée. Du marbre en blocs, du granite. Les grues qui déplacent tout ça. Les dockers attentifs.

La sombre mélancolie de ma mère, à compter de l’automne 83, continue de percer le cœur d’un trait acéré, douleur invisible qui désamorce l’indifférence. Plus tard, la silhouette courbée d’un vieil adolescent lutte difficilement contre le vent. Dans les bars, une odeur d’homme et de vinaigre blanc. La ville close est étouffante, sauf en hiver à la chaleur des femmes puisqu’alors le vent souffle fort jusqu’à l’intérieur du crâne.

Et puis il y a Paramé, les villas historiques et le long sillon blanc. On essaie d’imaginer tout ça lorsqu’il n’y avait rien ; de vieilles eaux-fortes doivent éclaircir le mystère dans quelque musée poussiéreux. Il est agréable de s’y promener le dimanche après-midi dans la gentillesse des siens, parler de la vie qui vient, prendre des photos dans les couleurs toujours neuves. Enfant, le mot Paramé laissait un goût d’agrume au fond de la bouche, avec l’odeur de crème solaire étalée sur la peau.

Au retour, sur l’autoradio une chanson d’Alain Bashung (ou de William Sheller ?) mais, curieusement, en version karaoké. Et débrouille-toi avec ça sur la quatre-voies piégeuse avec, dans le rétroviseur, au milieu des nuages, du soleil.