Les vœux du maire, initialement prévus pour ce midi, avaient été annulés « compte tenu de la situation sanitaire ».

Vœux annulés, soyons honnête, au grand soulagement de tous. À l’exception peut-être du maire lui-même qui, nouvellement élu, n’a pu, pour la deuxième année consécutive, exprimer son talent en pareille circonstance : concours d’édiles, remise de médailles, speech, champagne et tutti quanti. Pour le reste, c’est à dire toutes les autres circonstances, il faut reconnaître qu’il fait le job, qu’il se débrouille bien, en tout cas aussi bien que le précédent, et peut-être même aussi bien que celui d’avant, d’après ce qu’il m’a été donné d’observer ou d’entendre. On va le voir plus bas.

Quoi qu’il en soit, cette abstinence mondaine, et le temps gagné en résultant, fut pour moi l’occasion de terminer la lecture du remarquable roman de Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes (Éditions Philippe Rey, 2021), un Goncourt-cadeau-de-Noël inespéré parmi les boîtes de chocolat de la maison Yver (qu’on aime bien aussi, en cette saison et en général, bien sûr, mais enfin avec ce livre-là, il faut admettre que l’attention durait plus longtemps ; les personnes ayant eu cette idée doivent en être remerciées).

J’avais posé dès le 26 décembre un post-it à la page 34 pour retrouver un paragraphe annoté à la marge :

(…) — Voilà ton erreur. Voilà l’erreur de tous les types comme toi. Vous croyez que la littérature corrige la vie. Ou la complète. Ou la remplace. C’est faux. Les écrivains, et j’en ai connu beaucoup, ont été parmi les plus médiocres amants qu’il m’ait été donné de rencontrer. Tu sais pourquoi ? Quand ils font l’amour, ils pensent déjà à la scène que cette expérience deviendra. Chacune de leur caresse est gâchée par ce que leur imagination en fait ou en fera, chacun de leurs coups de reins, affaibli par une phrase. Lorsque je leur parle pendant l’amour, j’entends presque leurs « murmura-t-elle ». Ils vivent dans des chapitres. Un tiret de dialogue précède leurs paroles. Aal het erop aan komt — c’est du néerlandais, ça veut dire « en fin de compte », les écrivains comme toi sont pris dans leurs fictions. Vous êtes des narrateurs permanents. C’est la vie qui compte. L’oeuvre ne vient qu’après. Les deux ne se confondent pas. Jamais.

Intéressante et discutable théorie que je n’écoutais plus.  (…)

(cet extrait d’un dialogue entre le narrateur, écrivain, et un autre personnage, auteure reconnue, est loin de résumer l’esprit du livre. Le post-it était posé là dans le but, je m’en rendais compte maintenant, de transcrire ce paragraphe par ici, parmi des photos qui n’ont pour similitude que la date de prise de vue, le 1er janvier de cette année, et dont l’origine se trouve dans l’espoir d’un tweet immédiat ou d’une parution dans l’une de ces pages de blog. D’où, en étendant la métaphore tendue dans cet extrait, les quelques facilités ou imperfections qu’elles dégagent a posteriori.)

Moins métaphoriquement, je me suis souvenu d’une improvisation de l’ancien maire à la maison avant les élections (il cherchait quelqu’un pour accroître sa liste, je déclinai l’aimable proposition ; et peu importe, d’ailleurs, qu’il fut ancien ou nouveau maire, ou challenger, ou simple quidam) (je fais au mieux pour reproduire mon souvenir) : On lit partout que ce qui compte, c’est l’écrit. Que peu importe ce que tu fais, ce qui reste c’est la trace, le compte-rendu des opérations. Mais ici, en ville et au fond de la campagne tu te rends compte que plein de gens savent à peine lire, alors écrire…. Quand ils font une connerie c’est écrit dans le journal, mais tout ce qu’ils font par ailleurs, que dalle. Des existences de faits divers, des noms sur une liste administrative. C’est tout.

Il y aussi des gens qui récupèrent d’un covid léger mais long. Retrouver l’odorat, le goût. Cela prend du temps. À l’hôpital, ou ce qu’il en reste, un médecin rassure : Heureusement, le cerveau est souple, plastique. Avec de la rééducation, avec du du temps, du travail, ça revient. Quel que soit l’âge.

Décidément, les photos du 1er janvier ne nous aident pas, pour terminer ce billet. Ou peut-être que si, va savoir.