Tiens, il pleut. Ou plutôt, il a plu. Il faut bien (re)commencer par quelque chose. Reprendre sa place dans le trafic. En tout cas c’était au retour de la marée, avec dans le panier quelques praires, trois douzaines à tout casser, fruits de mer absolument gratuits, et pourtant c’est du luxe (d’ailleurs, à trop se pencher on finirait bien par se déboîter un membre), il y aussi des petites algues bleutées pour les végétariens ou les photosensibles, ou ceux qui comme Flaubert voient des varechs qui s’épandaient comme des chevelures de femmes antiques le long d’un grand tombeau. Sans aller jusque là, il n’est pas certain que la pluie ait duré, on finit par se perdre dans le calendrier, seules les photos ont gardé, dans leur fichier intrinsèque, une trace précise de l’évènement. Mais les photos, métadonnées ou pas, on finit toujours par les confondre. En tout cas à l’angle de la rue Colette, à Pirou, il y a une maison qui s’appelle Le Mirage, et c’est absolument indiscutable. Mystère du retour de flamme sentimental qui guette à chaque coin de rue, c’est connu. Indiscutable aussi, le fait que la marée basse effraie toujours (ou devrait effrayer) par l’absolue révélation de l’absence, en négatif, l’immensité du manque. Il faut tout de même être très ponctuel et ne pas se laisser aller dans ses pensées, sous peine d’être submergé au retour programmé du concret liquide.

En rentrant, après un détour par la boutique du lycée agricole pour y trouver du vinaigre et du fumier et voir des photos d’élèves en situation, à la manœuvre sur le terrain, on croise Jean-Marie, le copain prof de bio avec qui il avait fallu un temps d’adaptation tant son accent est bondissant, on disait naguère taillé à la serpe, humour à la hussarde et clins d’œil au-dessus de la moustache à la Jean Ferrat. À l’aide de ses mimiques et de ses grands gestes, dans l’immédiat et simultanément, on ne comprend rien et on comprend tout. Au côté gauche de son visage et sur le cou, une immense tache de vin résume le continent de sa bienveillance. Rareté, richesse. Le lendemain, chez un autre pays on lèvera nos verres très sérieusement (et plusieurs fois de suite) à la mémoire de celui qui n’est plus là.

Il y a le travail du jardin, dont la rigueur est quasi monacale, si l’on veut bien peser le mot. La queue de l’été confond ses fruits avec ceux de l’hiver naissant, on doit être hors-saison, comme chantait Cabrel. La physionomie des plantations s’apparente encore au bouillonnement de la perfection romane. Un Cistercien y trouverait sans doute quelques développements par trop fantaisistes, mais la discipline ne serait pas pour lui déplaire et il s’en accommoderait par de menus ‒ mais stricts ‒ aménagements horaires. Pour le commun des mortels, en fin de journée et sans se faire prier, on retrouve ici la fonction rythmique de l’angélus. Ce n’est qu’un détail, mais n’est-il pas, strictement et littéralement, merveilleux. En dépit des efforts répétés et cruels de quelques obscurs, les noces de l’homme avec le monde ne sont pas définitivement rompues.

Pour se remonter le moral, on en avait bien besoin, à la télé il y avait une comédie musicale. Rigueur, fantaisie, bonheur. Là aussi, il pleuvait. Je suis retourné ensuite sur YouTube par amour pour Gene Kelly, sa grâce et celle de ses partenaires qui semblent transfiguré.e.s par son simple contact. Une illusion, bien sûr, mais une belle illusion.

I’m sorry, mademoiselle, mais je suis amoureux

Vous avez de la chance

Je fais ce que je peux

Efficace, accessible. Ultrasensible. Je serais facilement tombé amoureux de Gene Kelly. Mais c’est un garçon, et de toute façon il est mort. Fin de partie. Retour au point de départ, comme d’habitude. Enfin, presque.