C’est fou ce que l’on peut trouver aux puces. À commencer par l’acharnement avec lequel les objets s’extirpent de leur torpeur pour venir vous sauter sur le cuir, comme si leur ancien propriétaire en personne vous colletait directement : Tiens, c’est bien ce que vous cherchiez, non ? Alors…

En réalité ce ne sont pas les Puces, mais un dépôt où l’on peut apporter tout ce dont on n’a plus l’usage, et dont on veut se débarrasser autrement qu’en le posant sur le trottoir, dans l’attente du diable. Je n’avais qu’une idée de la masse que cela représente. Une association remet ça en état et le vend pour une poignée de centimes. Elle emploie pour ce faire des personnes en difficulté, passagère ou non : handicapés, chômeurs récidivistes, ex-taulards, femmes battues, etc. À gros traits, je résume.

L’effet de mode (« je n’achète plus rien de neuf ») est superficiel, et pour ainsi dire superfétatoire, occultant. À l’évidence, les habitués du lieu ne sont pas non plus des curieux, amateurs de vieilleries potentiellement design, tangiblement bankable, comme aux Puces de Saint-Ouen. S’équiper ou se vêtir (pantalons à 5 euros, chemises à 3) reste ici raisonnable pour celui qui vit de rien. Et manifestement, certains n’ont pas idée du nombre de ceux qui vivent de presque rien. Ou alors, ils font semblant, et dissimulent leur cynisme derrière des « éléments de langage » en perpétuelle innovation. À grands traits, je résume.

Je n’étais pas là par désœuvrement ou envie de voir du monde. Si je n’ai pas fait l’acquisition (pour un euro), d’un très beau (et très kitsch, mais une partie de moi-même ne s’en rend pas compte) bas-relief (je ne me moque pas : j’ai rarement vu un objet qui condense aussi bien — dans son émouvante et bondissante maladresse — l’exotisme portuaire et maritime ; il m’a littéralement sauté à la figure et a failli m’emporter en longs flottements depuis le guéridon qui l’accueillait, provisoirement je l’espère), j’ai trouvé des livres de poche à 20 centimes : La Voie Royale, Lettres Persanes, Histoires pour Bel-Gazou, L’Enfant, Un cœur simple, Le Nœud de Vipères, La Rabouilleuse, Le bandit n’était pas manchot (!). Évidemment, ce n’est pas d’aujourd’hui.

Pour lire, pour relire, pour offrir, pour donner à nouveau ? Va savoir. Le papier imprimé est fait pour être partagé jusqu’à sa dissolution en poussière, sa valeur est dans le nombre de doigts effilés, noueux, immaculés ou musculeux  qui l’ont palpé, froissé, ont tremblé devant le Verbe (ça arrive), ou l’ont jeté, rageurs, n’y parvenant pas (ça arrive aussi). Je n’ai pas les mêmes émotions avec la tablette, que j’hésite à rudoyer de peur qu’elle se dérègle, et dont il est impossible de céder les livres une fois acquis, ce qui est un comble, et une trahison.

 

Toujours en périphérie de la ville (je ne l’ai pas encore nommée, il s’agit de Meaux), tournant autour dans le sens des aiguilles d’une montre et dans celui de la Marne, traversant les quartiers de Beauval, de Collinet, dont les tours tombent les unes après les autres (le maître d’œuvre est Jean-François Coppé) au profit d’un habitat censément plus « humain », BBC et BCBG, ce qui a pour conséquence de faire migrer les populations fréquentant ordinairement l’association précitée vers de lointaines campagnes certes moins chères, mais où il n’y a rien, on finit par cogner contre un mur d’arbres. Il faut continuer à pied.

Bien sûr, ici rien n’est sauvage, ne rêvons pas. il s’agit d’une ancienne carrière de sable et de graviers où, sur plusieurs dizaines d’hectares, un exploitant concessionnaire fit son gras jusqu’à l’épuisement du stock (rien que de bien normal, paraît-il ; la situation se répète tout au long de la Marne depuis Vitry-le-François jusqu’au confluent de Maisons-Alfort. À la suite de quoi, abandonnant jusqu’aux machines, intransportables ou envasées, celui-ci va voir ailleurs si d’autres sables, d’autres graviers…)

 

Dans cette jungle (rêvons un peu), toute de lianes vêtue, ou même les arbres s’étreignent en un premier baiser furtif et appliqué toujours recommencé, on s’attendrait à voir danser les faunes. De-ci, de-là, un bon coin pour la pêche, ou pour le péché. Le Ciel, réfléchi par les mares et par la rivière, est là de toute façon pour nous en laver. La rivière, son méandre féminin comme la courbe du Faubourg Saint-Antoine qu’elle infléchira plus tard, caresse et oblige imperceptiblement, à brouiller le sens de l’orientation.

 

Quand tout à coup, la plage.

Ce fut sans doute, avant-hier mercredi, l’une des dernières journées de belle chaleur. Les maîtres-nageurs redoublent d’attention. On les entend siffler de temps à autre comme un échassier nidificateur peu indifférent à la variété évoluant sous son aire. Il suffit de poser sa serviette, entre sable et herbe cuite, pour commencer l’observation des espèces ci-devant, leur ballet soigneusement réglé et pourtant toujours neuf. Il y a des planches comme à Deauville ou à Ouistreham. Une partie de moi-même se souvient des grèves de la Rade de Brest

Les enfants voient des poissons partout et rapportent des méduses et des étoiles de mer. Ils creusent des sillons vite inondés, mais ici la marée attendra. D’ailleurs beaucoup d’entre-eux n’ont jamais vu la mer, comme on l’entend à la télé, et pour une fois ce n’est pas un lieu commun ou une idée reçue…

(Sans vouloir faire Les Quatre Cents Coups, chacun sait que c’est un but en soi – la mer, la plage…

Un peu plus tard dans la soirée, nous apprendrons sur l’autoradio qu’un présumé djihadiste a été relâché par mégarde par le tribunal de Meaux. Zut alors. La ministre de la justice Nicole Belloubet monte sur ses grands chevaux. À tristes traits, je résume.

Bah, ce n’était qu’un fait divers qui annonçait la couleur, noyé sous celles, plus joyeuses et mélangées, de la rentrée. On l’espère, comme toujours, agitée.)