Dans la lignée des « Vases communicants », ce numéro un de « Va-et-vient » concocté par Dominique Hasselmann reprend le même schéma de communication : un échange entre personnes qui écrivent un texte (avec ou sans illustration) sur le blog d’un autre.

Ce jeu littéraire paraîtra tous les premiers vendredis du mois. Le thème de ce premier échange est « l’heure attendue ».

Pour ce premier numéro j’ai le plaisir d’accueillir Brigitte Celerier, qui me reçoit chez elle sur paumée, pendant que Dominique Hasselmann publie Amélie Gressier, qui accueille chez elle Marlen Sauvage, qui reçoit à son tour Dominique Hasselmann.

Les contributions pour le numéro deux de « Va-et-vient » seront publiées le vendredi 7 avril, avec pour thème : « Ce drôle d’effet ».

À vos claviers et merci de nous prévenir avant le 20 mars pour que l’ordre des contributions puisse être organisé.

 

Je me suis réveillée en catastrophe, certaine qu’il était tard. Me suis levée dans un noir surprenant, suis tombée dans un inconnu | ai cherché le mur, l’ai suivi, ma main le caressant en quête d’un bouton, de la lumière | elle n’a rien trouvé | ai abandonné le mur, ai coupé dans la direction de la façade, de la lucarne qui ne laissait passer aucune lueur, ai tiré le rideau sur une nuit qui s’étendait comme un étang emplissant le jardin… ai récupéré ce qui me manquait de conscience, suis retournée, bras en avant pour me prévenir de possibles obstacles jusqu’au lit, ai tâtonné, trouvé ma montre et la souris de la lampe de chevet | il était trois heures | ai pensé que c’était l’heure charnière où la fatigue me terrassait autrefois quand devais veiller sur un projet | ai pensé maintenant il s’agirait de céder au sommeil si seulement il voulait bien m’assaillir, ai fermé mes paupières à m’en faire mal, ai ri intérieurement de cette sottise, les ai entrouvertes et puis refermées avec précaution en priant le sommeil de venir | ai retenu ma respiration en cherchant à saisir le souffle de la nuit pour m’y couler en quiétude, n’y avait que l’absence, ai tenté de m’y engloutir et lentement tout mon corps s’est relâché pendant que mon esprit vivait par avance, malgré mon effort pour l’en détourner, l’arrivée du couple qui manquait à nos retrouvailles, la journée, ce qui serait joie et les écueils à éviter | pour m’en détacher, me suis concentrée dans un orteil qui avait vague douleur, ai souri, du moins ai senti que le faisais, ai ramené mes jambes, ai attendu le sommeil | je crois qu’il est venu, bref, ou ce fut une lente plongée en somnolence profonde d’où suis sortie doucement, n’ayant juste conscience que d’une absence dans le temps | la lucarne s’ouvrait toujours sur le noir, un noir un peu moins profond peut-être | l’ai cru | me suis redressée, ai posé mes pieds sur les tomettes froides, les yeux sur ce carré presque indistinct suis allée vers lui, cru voir un affaiblissement du noir, un début de contamination pale | ai levé le battant, retrouvé le noir intact, ou l’ai cru en sentant l’air froid sur ma peau, suis revenue vers le lit, ai allumé la petite lampe, attrapé mon sac, l’ai fouillé, assise sur le lit, ai caressé boite de cigarillos, ai hésité, en ai sorti un, suis revenue vers la nuit, ai attrapé le briquet posé sur la petite tablette, ai allumé, envoyé une bouffée dans le noir, éteint le minuscule point rouge avec mon doigt, posé le cigarillo sur la tablette, suis revenue en surjouant les frissons me blottir sous la couette remontée jusqu’aux cheveux | je crois que j’ai dormi à nouveau ou que j’ai recommencé à vivre par avance la journée à venir | en sortant la tête de la douceur des tissus où s’était enfouie je vois une lumière blanchâtre, douce, inachevée pénétrer par la lucarne | debout devant elle, je regarde les arbres, les petites terrasses, la fontaine et les graviers des allées serpentantes émerger du néant | je tends la main vers ce qui reste du cigarillo en me penchant, mais le repose en voyant les volets ouverts de la grande chambre, sous moi, un peu à gauche, parce que fumer dans cette maison est tacitement prohibé | je m’accorde un sourire de travers pour marquer ma culpabilité, j’attrape mon châle, enfile une paire de chaussettes, ouvre ma porte, me penche sur l’escalier | une tache de lumière chaude sur les dalles de la galerie, au fond, devant la cuisine et une musique en sourdine | l’heure approche | je descends doucement, j’entre avec précaution dans la cuisine, B déteste être dérangée avant d’avoir fini de boire son café | elle lève la tête de ses mots croisés et murmure « bonjour, le café est prêt » puis un peu plus fort « ils arrivent dans trois quart d’heure en principe » et avec une ébauche de sourire « tu as bien dormi ? » et elle sort | je m’assieds et pose mon bol devant un verre garni de fleurettes, dans le plaisir de la retrouver tout en comprenant qu’il est attention discrète à moi dédiée | je choisis ma confiture | l’heure est là, qui demande que nous accueillons le jour.

(Texte et photo : Brigitte Celerier)