Dans la lignée des « Vases communicants », le « Va-et-vient » reprend le même schéma de communication : un échange entre personnes qui écrivent un texte (avec ou sans illustration) sur le blog d’une autre.

Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de ce deuxième échange est « Ce drôle d’effet ». J’ai aujourd’hui le bonheur d’accueillir Caroline Diaz, autrice du blog « Les heures creuses », qui par conséquent me reçoit chez elle. Caroline est sur le point de publier son premier roman : Comanche.

Les deux autres échanges ont lieu simultanément entre Marlen Sauvage et Amélie Gressier, et entre Marie-Christine Grimard et Dominique Hasselmann.

Les contributions pour le numéro trois du « Va-et-vient » seront publiées le vendredi 5 mai avec pour thème « Le bus raté ».

À vos claviers, et merci de nous signaler votre participation avant la date de publication !

J’ai acheté le Yashica sur un coup de tête, pensant un premier temps l’offrir à Nina, elle préfère aux appareils numériques les outils analogiques, le rapport au temps qu’ils installent. Je lui ai demandé ce qu’elle en pensait, comme moi elle était un peu intimidée par l’objet. Nous vient l’idée de l’utiliser en partage, lors de nos voyages, ou pour un projet particulier, voire une création à quatre mains. Quand je l’ai reçu, j’ai été surprise par le poids et le volume de l’appareil, pas l’objet qu’on attrape au moment de sortir en se disant qu’on va peut-être faire une photo. Il m’a fallu des mois avant de me décider à l’utiliser enfin, sous la pression de Nina m’annonçant son prochain séjour à Paris. Après avoir chargé une pellicule noir et blanc 400 ASA périmée depuis quelques mois, je photographie la cour de mon atelier pour le prendre en main, apprivoiser la visée en miroir, m’assurer que le déclencheur fonctionne. Je confie l’appareil à Nina dès son arrivée. Elle utilise la moitié de la pellicule et a l’impression que le compteur de vues s’est bloqué à plusieurs reprises, elle repart déjà à Nice. Je prends la suite, photographie des arbres, des reflets, des immeubles. Je dépose la pellicule au labo auprès duquel Nina a l’habitude de déposer ses films, espérant recevoir les scans avant mon prochain voyage à Nice où je dois la retrouver bientôt.

Je reçois les scans par mail dans le train qui me conduit à Nice, je les fais suivre à Nina, à mon arrivée nous découvrons ensemble, médusées, nos images accidentées. La pellicule s’est en effet bloquée et a parfois été exposée plusieurs fois, le film s’est couvert de taches et marbrures à l’aspect organique. Le noir et blanc, la superposition des vues, les altérations, donnent l’impression que les photographies nous parviennent d’un autre temps. La ville s’amplifie, se métamorphose, se creuse de paysages multiples. Elle devient un écran où se superposent de l’eau, des nuages, des visages, des architectures, des arbres, des lumières. Elle est mouvante, sans doute la difficulté à trouver l’horizontalité au moment de faire le cadre. On essaye de reconnaître dans les surimpressions les lieux que nous avons l’une et l’autre photographiés. Les murs d’une chambre se couvrent d’eau. Un visage apparaît sur les bâtiments de la cour de mon atelier. Des arbres surgissent d’un crâne. Ce qui me touche, au-delà de l’étrangeté de ces photographies, c’est que Nina et moi soyons réunies dans ces lieux que nous avons photographiés à des moments différents la ville, ses parcs, l’appartement ces lieux où nous avons vécu, ensemble.

Le parc des dimanches d’été, la chaleur, les pique-niques, les tissus jetés sur l’herbe, un territoire d’enfance. En bas la petite rivière, sœurs aux pieds menus, les pierres fraîches qu’on se colle sur la joue, les secrets confiés à l’herbe, des cabanes fragiles, des châteaux, des éclats, les aveuglements, le soleil en partage. Des failles, des choses qu’on ne voyait pas, derrière la place un autre paysage, une direction imprévue, les grands arbres­­­, les arbres devenus immenses qui dessinent une forêt. L’ange dépassé. Des images comme des rêves. Un arbre chante, il est entré dans ma tête. Une injonction à la consolation. La chambre vide, le désordre du lit, les draps, la lumière dans les voiles. Sur les murs je vois des vagues, c’est la mer entendue dans l’enfance. C’est la maison à laquelle tu as renoncé parce que tu as rêvé qu’un tsunami l’engloutissait. Je me demande encore quelle aurait été notre vie si nous l’avions achetée. Les nuages frottent les arbres nus, des indices, un tremblement, la duplicité des branches. Des choses qui flottent dans une nuit blanche, le sommeil partagé compté sur les doigts d’une main trois nuits, tenir la peur à distance. Fouiller les images, convoquer les heures, la température de l’air, le bruit du vent, la parole des pierres. Des lumières, qui ne seraient ni le jour ni la nuit.

Texte et photos : Caroline Diaz